De la violence organisée dans les manifestations

02.11.2016

Il est bon, pour ce texte, de différencier deux types de violence lors de manifestations. En premier, il y a la violence liée aux pillages, aux destructions aveugles, ou à des confrontations belliqueuses avec la police qui ont des motivations comme la vengeance ou l’apat du gain, comme l’on peut en voir durant les émeutes dans les banlieues. Les auteurs de cette première violence seront ici identifiés comme des « casseurs ». En second, il y à la violence organisée, structurée autour d’une idéologie et politisée qui est revendiquée comme un moyen, ou le seul moyen, de remettre en question l’ordre social et économique. Les auteurs de cette violence politique seront appelés ici des « groupes » faute d’un meilleur synonyme.

Il n‘y aura dans ce texte aucune condamnation morale de la violence. D’abord, parce que ce n’est pas le propos de cet essai. Ensuite, parce que la posture morale est souvent hypocrite. On est prompt à condamner qu’une seule forme de violence et à édulcorer les violences structurelles. Et, même la violence physique, ne semble pas être condamnée de la même manière suivant d’où elle provient et pourquoi elle est déployée. La morale est une chose subjective propre à chaque individu et chaque société. En définitive, une posture, avant tout morale, nuit systématiquement à la véritable réflexion sur un sujet. Il ne sera donc ici sujet que de la stratégie, et de l’idéologie qui la motive, et de l’efficacités de celles-ci.

Il convient d’abord de définir l’idéologie et la stratégie dont nous parlons. J’en propose ici un court résumé. Les groupuscules et les organisations qui revendiquent l’utilisation de violences organisées durant des manifestations, et leurs idéologies, sont si nombreux et si hétéroclites qu’une description exacte et détaillée est impossible. Mais, je vais chercher aussi à éviter soigneusement les raccourcis imbéciles, et sans doute d’une rassurante simplicité pour leurs auteurs, qui souhaitent présenter ces groupes comme des «casseurs barbares» ou des «jeunes en manque de repères». Ici, il s’agit bien d’une idéologie et d’une stratégie liée à celle-ci. En premier lieu, ces organisations n’acceptent pas que l’Etat détienne le monopole de la violence qu’elle soit justifiée ou non. Pour elles, le peuple doit pouvoir, lui aussi, utiliser la violence, notamment pour se défendre contre l’Etat et ses appareils de répressions et pour lutter contre l’ordre politique et économique établit. En second, l’Etat est au service de l’ordre politique et économique capitaliste actuellement en place et ne protège que les intérêts de la classe dominante et pas ceux du peuple. Ce qui, non seulement, justifie de ne pas lui laisser le monopole de la violence, mais aussi de le combattre, car il n’est pas légitime. Donc, pendant une manifestation, il est nécessaire de protéger le peuple, contre la violence de la police, appareil de l’Etat au service de la classe dominante. Il est important de noter que cette violence se veut organisée, politique et qu’elle n’est jamais gratuite. Lors d’une manifestation, il n’est même pas rare de voir ces groupes neutraliser les casseurs qu’ils considèrent nuisibles à leurs messages, car motivés par l’appât du gain, ou par la violence gratuite. En effet, la violence ne peut être utilisée seulement contre des institutions elles-mêmes violentes. Souvent, elle est d’ailleurs justifiée par ces groupes, par le fait qu’ils s’en servent pour se défendre. De même, dans le cas de violences contre les intérêts de la classe dominante, les cibles matérielles sont sélectionnées et leur destruction doit être justifiée par un objectif politique. Ce sont donc des symboles de l’autorité, du système économique en place ou des partis politiques décriés qui sont visés. Les biens ne sont pas volés, mais détruits, pour clairement marquer une différence avec de «simples» pilleurs. Finalement, ces violences contre du matériels sont présentées comme acceptable, car ne blessant personne, là où la violence de l’Etat se déchaine contre des individus.

Il est donc clair que ces groupes ont une idéologie qui dicte en partie leurs actes et stratégies. La finalité de cette idéologie est la révolution contre le système économique capitaliste et les Etats qui sont - forcément ­- à son service.

Partant de ces observations, je fais les propositions suivantes quant à l’efficacité des méthodes de ces groupes et leur cohérence idéologique :

  • Les méthodes violentes de ces groupes n’ont jamais représenté une menace pour l’Etat, ni pour aucun de ses appareils de répression ou pour le capitalisme et sa classe dominante.

  • Les méthodes violentes de ces groupes représentent une menace directe pour les autres formes de contestation populaire - notamment les manifestations pacifiques - et leurs crédibilités. Et, en cela, empêche des tentatives pacifiques de changement de système économique ou politique.

  • L’Etat, les institutions de l’Etat et les forces politiques conservatrices se nourrissent du comportement de ces groupes pour justifier une partie de leurs méthodes ou politiques. Les actes violents de ces groupes sont intégrés comme une composante utile au maintien de l’ordre politique et économique actuel.

  • Au vue de leurs méthodes, ces groupes n’ont pas la volonté réelle de renverser l’ordre politique et économique actuel ou de nuire à l’appareil de répression de l’Etat.

Si ces groupes veulent représenter une menace pour l’Etat, le système capitaliste ou pour son appareil de répression qu’ils décrient tant, comme la police, nous ne pouvons que constater l’échec monumental de leurs méthodes. Malgré les violences répétées de ces groupes dans de nombreuses manifestations, les forces de police n’ont jamais véritablement été mises en échec ou véritablement freinée lors de la dispersion de ces manifestations, bien au contraire. Les forces de police n’ont pas, durant les piques d’activités de ces groupes, soudainement diminuées. Et aucun débat sur la pertinence de l’utilisation de la police pour disperser les manifestations n’a été lancé. Quant à l’Etat, ou encore le système économique capitaliste, il est si peu menacés par les violences qu’il ne s’en préoccupe pratiquement pas. Les deux n’y attachent de l’importance que dans la récupération politique qu’ils peuvent en faire. En effet, aucun structure de l’Etat ou pilier du capitalisme n’a été détruit ou menacé par les violences lors de manifestations. Détruire un fast-food, dans une ville, d’un pays, ne menace absolument pas une chaine alimentaire internationale qui, de toute manière, a une très bonne assurance. Quant aux biens véritablement «sensibles», ceux dont la destruction pourrait véritablement paralyser l’économie ou l’appareil étatique, ils sont suffisamment protégés pour ne pas être menacés durant des manifestations. Cette stratégie de violences organisées, n’a donc abouti à aucune révolution ou bouleversement de notre société, mais en plus n’est même pas parvenu à menacer réellement ses cibles.

Il n’y a qu’une seule chose qui soit véritablement menacée par les actions violentes de ces groupes ; les autres formes de contestation populaire. La police et les autorités trouvent dans la présence de ces groupes violents le prétexte parfait pour disperser une manifestation par la force. D’autant plus que ces violences attirent l’attention des médias. Cela non seulement édulcore de manière quasi systématique le message des manifestants, mais en plus justifie aux yeux du public l’emploi de la force contre les participants. Le danger d’être pris dans ces types d’expressions violentes, venant des manifestants ou de la police, dissuade la population de se joindre aux manifestations. Et même si les plus décidés continueront à se mobiliser, ils ne viendront pas en famille et n’inciteront pas leurs amis à participer, de peur de les voir blessés. Les violences ont donc un effet «démobilisateur» qui peut tuer un mouvement social. Les manifestants, même non-violents, seront associés aux violences. Les messages des manifestations, quand ils sont relayés par la presse, se trouvent donc délégitimé aux yeux du public qui se désolidarise du mouvement social. Une perte de légitimité qui sert bien les politiques qui souhaitent décrédibilisé les manifestants et qui craignent plus que tout de voir ce genre de mouvements grandir, devenir rassembleur et gagner toutes les couches de la société. Les personnes ne souhaitant pas être associées à des violences pour des raisons idéologiques ou morales, ne participent plus aux manifestations et même peuvent les condamner sur la forme malgré un accord sur le fond.

Encore une fois, les violences ont un effet démobilisateur que les institutions et les partis politiques conservateurs savent bien exploiter. C’est ainsi l’effet inverse de celui escompté qui est obtenu. Au lieu de protéger les manifestations et leurs participants, les groupes violents les rendent difficile à organiser, dangereuses pour les participants et impopulaires auprès du public.

De ces violences, il y a néanmoins de grands gagnants. C’est justement les organisations, institutions et partis politiques que les groupes violents prétendent viser qui se retrouvent renforcer dans leurs légitimités. En effet, les violences durant les manifestations sont non seulement un prétexte pour disperser les manifestations par la force, mais aussi une raison valable aux yeux du public de maintenir et augmenter les budgets et effectifs de la police. Ainsi, ces actions justifient le renforcement de l’appareil de répression et son utilisation. Ce qui, aux yeux des groupes violents, justifie de passer à l’action. Un cercle vicieux si efficace qu’il n’est pas exagéré de considérer que les groupes violents sont devenu une composante utile, voir indispensable, aux pouvoirs politiques et économiques actuels. On peut prendre pour preuve le fait que, dans certains pays occidentaux, les forces de police utilisent des agents pour inciter aux violences, ou pire, pour y participer, là où les groupes violents manquent à l’appel. Pour des organisations politiques, il est bien plus simple d’attaquer les violences que le message de fond des manifestations. Faire appel, avec une mine sévère, au calme, à la morale et condamner les violences permet de facilement édulcorer le débat que souhaitent susciter les manifestants. En jouant sur les amalgames entre les manifestants et les «casseurs», on aboutit rapidement à une désolidarisation du public vis-à-vis des manifestations et de leurs messages, tout en décriant toute personne les soutenant. Un homme politique peut même propulser sa carrière en promettant d’être intransigeant avec les «voyous» et les «casseurs», malgré son programme creux ou son travail médiocre. Ainsi, des politiciens, des fonctionnaires ou même des gouvernements s’appuient sur ces violences pour se maintenir en fonction ou se renforcer dans leurs positions.

Il est donc logique de se demander pourquoi les groupes violents ne changent pas de stratégie. Puisqu’ils ne parviennent pas à leurs objectifs, puisqu’ils nuisent aux manifestions qu’ils souhaitent protéger, puisqu’ils renforcent les pouvoir économiques et politiques et les outils de répression qu’ils veulent renverser, pourquoi persister dans l’échec? Si, s’attaquer aux forces de police dans les manifestations n’aboutit pas à la diminution des forces de celle-ci, pourquoi ne pas profiter qu’elles sont accaparées par les manifestations pour prendre d’assaut leurs casernes sans défenses? Si, les politiques utilisent les violences dans les manifestations pour tuer tous mouvement social dans l’œuf, pourquoi ne pas éloigner ces violences des manifestations? Si le but est de détruire les biens de consommations pour nuire au capitalisme, pourquoi ne pas les détruire là où ils sont le plus vulnérables et le plus concentrés, comme dans un hangar? Mon interprétation est que ces groupes ne cherchent pas vraiment à renverser les pouvoirs politiques et économiques en place ou à nuire à l’appareil de répression de l’Etat et au capitalisme. Au contraire, si, un beau matin, le capitalisme et les institutions le défendant devaient disparaitre, ils seraient complétement perdu. Car, la posture idéologique et la conformité à une image du «révolutionnaire résistant» est plus important que le résultat réel. Pour ces mouvements, l’étiquette que l’on se donne, pour ne pas être un «mouton asservit par le capitalisme» est plus important que l’objectif à atteindre. Bloqué dans l’idée qu’il faut être contre, le capitalisme, l’Etat, les cocos totalitaristes, les sociaux-traitres, les partis, les institutions, les bourgeois et l’embourgeoisement, et que la moindre concession pour obtenir un résultat est une trahison. Ils appliquent inlassablement la même stratégie, qui certes respecte la ligne, mais ne parvient à aucun résultats voulus. Car, l’objectif de correspondre à un mode d’action et des visées politiques que l’on estime comme les seuls «purs» et «véritables vecteurs de révolutions», peu importe les conséquences, est supérieur à l’objectif idéologique. Et comme l’on estime son mode d’action comme le seul légitime, on se moque bien de nuire aux autres et de bloquer certains changements possibles.

Dans l’ensemble des tracts de ces mouvements, l’appel est clair: il faut résister! Pourtant, pour changer une société, ou la révolutionner, il ne faut pas tenir une inutile barricade à tous les prix. Il faut, au contraire, obtenir un maximum de victoires. Il faut victoire après victoire, progresser. Si une stratégie n’aboutit à aucun résultat, si petit soit-il, et si elle renforce l’adversaire, la raison dicte d’en changer. Même si cela oblige à abandonner une image glorieuse que l’on se fait de soi, ou si cela oblige à accepter que la lutte pour changer la société est loin d’être une série d’actes purs et héroïques.

François Clément

Député Grand conseil Vaud